Derrière de grands volets de bois bien épais, Corinne guette avec inquiétude l'arrivée de la manifestation. Elle est barricadée depuis 5h ce matin.
“Arrêtez de trembler, ils ne viennent pas pour vous”.
Elle ne répond pas. C'est le gars de la LPO. Il fait croire qu'il n'est pas politique et qu'il ne s'intéresse qu'aux oiseaux mais elle sait que ce n'est qu'une façade.
“Si vous ne me croyez pas, demandez à la fille du bureau d'étude : elle m'a dit que ce n'était pas le même genre de manif' que d'habitude !”
La fille du bureau d'étude...Corinne a toujours pensé qu'elle réfléchissait trop pour son propre bien celle-là. Elle n'a probablement jamais eu de membre de sa famille maltraité par des manifestants. C'est facile de relativiser dans ce cas là. Moi j'ai bien vu mon grand-père, il était d'une bonne trempe mais les ultras violents l'ont cassé. Une manifestation c'est une manifestation et c'est toujours nous les v...
Corinne se glace d'un coup. Ça commence : elle vient d'entendre les chants au coin de la rue. Ils sont toujours aussi monocordes et angoissants mais alors qu'ils se rapprochent, quelque chose cloche... Ce bruit ? Oh putain ! Ils ont des tracteurs... Je suis foutue !
En quelques instants, les manifestants sont là, ils tapent sur ses volets, ils rigolent grassement, ils se moquent. Elle essaye d'hurler mais elle n' arrive pas. Où sont les policiers ? Pourquoi ne nous défendent-ils pas ? Je ne les entends même pas ! Qu'est-ce qui se passe bon sang !
Troublée, elle se décide finalement à regarder par un interstice dans sa barricade malgré la terreur.
Les forces de l'ordre sont bien présentes mais étrangement calmes. Il n'y a pas de cris, pas de sommations, pas de courses et pas de charges. Les agents semblent seulement accompagner les marcheurs qui eux suivent une caravane de tracteurs et d'engins agricoles. Il y a des pommes de terre, des oignons et des tracts dans les caniveaux.
La scène pourrait paraître cocasse mais de chaque coté du cortège, ses voisins ont des faces blanches, crayeuses. Ils regardent apeurés en direction de...
... Le gars de la LPO ! Il gît au sol, éventré par le rail d'un tracteur ! Dans sa terreur Corinne n'a pas entendu l'attentat qu'on commettait dans sa rue. Même si Corinne ne l'a jamais trop aimé avec son look qui plaisait aux babas cools, il faisait quand même partie du quartier... Elle ne comprend pas comment ça a pu arriver. Ces manifestants ne sont pas des Black Blox... Et les policiers ? Qu'est-ce qu'ils ont fait ? Qu'est-ce qu'ils ont fait ?
Maintenue immobile derrière sa protection, elle a alors l'impression de se déliter entièrement: non seulement les policiers n'ont rien fait pour empêcher le crime ignoble mais elle les voit sourire alors qu'un agriculteur déverse du fumier, puis une tête de sanglier tranchée, sur le cadavre dans la rue. Le seul moment où les gardiens de la paix s'énervent, c'est quand une journaliste essaye de prendre en photos la scène d'horreur.
Corinne la Vitrine de banque est choquée comme elle ne l'a jamais été : où va la France si on peut dégrader des devantures au grand jour ? Où va la France si les policiers se moquent des éventaires éventrés ? Où va la France si même la droite se contrefout des façades des boutiques et si plus personnes n'a de pensées pour les familles des vitrines ?